Maintenant, tout le monde connaît Eric Besson
Curiosité, autour du livre d'Eric Besson, d'un membre du PS qui n'a jamais eu la chance, en dix ans, d'y débattre des questions fondamentales.
Par Sophia Chikirou
LIBERATION.FR : samedi 7 avril 2007
Membre du Conseil National du Parti Socialiste
J'ai pêché : je confesse avoir acheté et lu le livre d'Eric Besson.
Installée dans un café branché du 20e devant un thé chaï (délicieux),
j'ai ouvert l'œuvre maléfique. La tentation était trop insistante. Je
sais bien qu'en tant que socialiste, dévouée à mon parti, loyale
envers sa candidate Ségolène Royal, je n'aurais pas dû. Je n'aurais
vraiment pas dû…
Eric Besson n'est plus membre du Parti Socialiste : il témoigne,
s'explique sur le choix qu'il a fait. Sa démarche étant nécessaire
dans la mesure où, élu sous l'étiquette PS, il se devait de rendre des
comptes aux électeurs et aux militants socialistes de sa
circonscription. On peut condamner l'inopportunité de la publication
d'un tel réquisitoire contre Ségolène Royal. N'est-il pas inélégant et
délétère de contribuer à la destabilisation d'une candidate qui a
besoin d'encouragements et de soutiens de la part de la gauche ? Je le
pense. Pourtant, je peux comprendre l'état d'esprit d'Eric Besson. Je
le comprends car mon parti, non pas ses militants mais ses
responsables, est frappé de schizonévrose. J'ai cette image d'une
belle berline, totalement équipée en électronique et dont le
régulateur de vitesse se bloque alors qu'elle est lancée sur une
autoroute. A tout moment, tout peut arriver. Filer sans s'arrêter et
foncer dans un mur comme se rétablir et poursuivre paisiblement sa
route ou encore voir débouler sur sa trajectoire un autre véhicule. Le
PS fait les frais du choix de ses dirigeants qui, depuis plusieurs
années, ont opté pour l'automatisme intellectuel. Membre de ce parti
depuis dix ans, je n'ai jamais eu la chance d'y débattre et de
trancher sur les questions fondamentales. Le réflexe conditionné à
tous les échelons de l'organigramme du Parti consiste à se réfugier
systématiquement sur la position la plus consensuelle et la moins
consistante que l'on s'échine à élaborer. On apprend ainsi à préserver
l'unité de façade, cultiver l'hypocrisie. C'est une nouvelle culture
politique qui permet à ceux qui sont en place de le rester. Comme le
décrit avec pertinence Eric Besson, les titres et les responsabilités,
distribués avec prodigalité, sont privés de réalité alors que le
copinage procure le pouvoir. François Hollande est l'inventeur
incontesté de ce style de soap-gouvernance. Ses disciples sont
nombreux, connus et reconnus.
Et reconnaissons-le, aucune personnalité, aucun courant ne peut
prétendre ne pas avoir cautionné ce fonctionnement. Il existe bien
quelques militants en responsabilité qui se rebellent, mais le prix à
payer en dissuade la très large majorité. Je peux ainsi citer mon
modeste exemple : l'an dernier, alors que je présentais ma candidature
à l'investiture interne pour les élections législatives dans la 21e
circonscription de Paris, François Hollande et ses amis m'en ont
écartée de façon, pour le moins, sournoise. La démocratie interne
ayant ses limites, ils ont jugé que la meilleure façon d'éviter que je
sois investie par mes camarades de la 20e section de Paris, était de
ne pas les faire voter, purement et simplement. Pour justifier ce qui
n'est rien d'autre qu'une manœuvre, ils ont eu la courtoisie de
m'assigner à mes origines ethniques en préférant une candidate «
antillaise » à la « maghrébine » que je suis à leurs yeux. S'ils
n'étaient pas socialistes, on aurait pu les soupçonner de succomber à
la très vilaine tentation de racialisme. Mais non, il s'agissait de «
faire la diversité dans la diversité » ! Face à ces agissements,
j'ai refusé de me taire, usant de la liberté d'expression qu'un parti
comme le mien tolère, liberté d'expression dont les limites ont été
repoussées par un certain Georges Frêche, exclu du PS après avoir, à
deux reprises, tenu les propos que l'on sait.
Mais revenons au thé chaï (refroidi) et à Eric Besson. Durant des
années, il savait, voyait et participait à un système qu'aujourd'hui
il dénonce. Pour cela, les socialistes, quelle que soit leur
sensibilité, sont prêts à le discréditer. On fait mine de s'interroger
: pourquoi n'a-t-il rien dit avant ? Pourquoi a-t-il fait semblant de
soutenir celle qu'il attaque si violemment aujourd'hui ? Pourquoi
a-t-il profité de ce système qui a fait de lui un député, une
personnalité politique qui compte ? Des questions dont la réponse est,
en réalité, évidente pour tous : refuser ce système, c'est se mettre
ipso facto hors système. Ainsi, qui n'a pas entendu tels socialistes
investis dans la campagne de Royal, chuchoter dans les couloirs (là où
les choses se passent) leur scepticisme face à la tournure que prend
la campagne et exsuder leur incrédulité face à certaines propositions
? L'essentiel du kit de survie du militant socialiste étant de
paraître le plus enjoué possible en réunion publique ou devant des
micros, ne comptez pas sur moi pour faire autrement…
Maintenant, tout le monde connaît Eric Besson. Je ne l'ai jamais
rencontré mais je sais que nous avons beaucoup de points en commun.
Sauf deux : je suis socialiste, profondément socialiste et je veux la
victoire de mon camp, la gauche.
Auteur de Ma France laïque (Ed. La Martinière, février 2007)
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